La mßere, c'est une ancienne institutrice du nord de la France, jadis mariÔee ßa un instituteur. Impatients et sÔeduits ßa la fois par les affiches de propagande et par la lecture de Pierre Loti, tous deux tentent l'aventure coloniale. Aprßes quelques annÔees relativement heureuses sur la cÒote du Pacifique, non loin du golfe de Siam, le pßere mourut, et la mßere resta seule avec deux enfants, Joseph et Suzanne. Elle joua dix ans du piano ßa l'Eden CinÔema, fit des Ôeconomies, obtint aprßes d'infinies dÔemarches une concession ßa la Direction gÔenÔerale du cadastre, laquelle Direction, n'ayant pas reƯcu de dessous-de-table, lui attribua ßa dessein une concession incultivable. La mßere, qui n'avait d'autre but que de laisser un petit bien ßa ses enfants passionnÔement aimÔes, s'entÒeta. Elle eut l'idÔee de construire contre les grandes marÔees du Pacifique un barrage qui protÔegerait ses terres et celles de ses voisins. Le barrage fut construit par des centaines de paysans sÔeduits par son espoir. Le Pacifique et ses crabes traversßerent le barrage comme s'il avait ÔetÔe une feuille de papier ßa cigarettes. C'est ßa ce moment que dÔebute le roman de Marguerite Duras. La mßere, Joseph, qui a vingt ans, Suzanne, qui en a dix-sept, vivent pÔeniblement dans leur bungalow dÔelabrÔe, au milieu de leur concession temporaire, sans cesse menacÔes d'en Òetre privÔes par l'administration du cadastre. La mßere est malade, Joseph et Suzanne commencent ßa "avoir marre" de leur misßere. Que faire ? L'Ôenergie et l'espoir n'ont pas quittÔe la mßere, qui calcule, combine, avec une sorte de folie mÔeticuleuse, rusÔee et lucide, tant elle a peur du dÔepart dÔefinitif, qu'elle sait inÔeluctable, de ses enfants. Les colßeres et les amours de Joseph, la rÔesignation de Suzanne, les intrigues d'un M. Jo, fils dÔegÔenÔerÔe d'un richissime trafiquant de terrains, pour sÔeduire la jeune fille, la mort de la mßere et le dÔepart des enfants pour une vie peut-Òetre meilleure, peut-Òetre pire ; sont ici dÔecrits avec une puissance qu'on ne peut rapprocher que de celle de Conrad dans ses meilleurs rÔecits. Cette dÔesolante aventure baigne dans le soleil, l'alcool, le cinÔema de la ville, l'immense misßere physique et morale des indigßenes et des Blancs pauvres roulÔes par une administration abjecte, un dÔesespoir total qui fait passer brusquement les personnages de l'intense, de l'hystÔerique rigolade ßa la tristesse la plus affreuse, enfin une sensualitÔe violente. ßA cÒotÔe des vivants, une vieille CitroÞen B12, un phonographe et un diamant dÔefectueux jouent un rÒole majeur.